Jonathan Belisle
Wild Cookie
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8 min readNov 21, 2020

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Design d’interactions pour le futur proche

Concevoir pour les interactions entre les personnes, le monde construit (conçu), les systèmes informatiques omniprésents, les médias en réseau et le monde naturel (également social).

Je suis le co-fondateur du studio de design prospectif nearfuturestories.co et je me spécialise dans la réalisation de dispositifs interactifs de médiation culturelle. J’aime jongler avec les interactivités — humains-humains, machines-machines, humains-machines. Mon but : rendre les visiteurs/publics/usagers actifs, plutôt que réactifs, et encourager leur capacité à imaginer, à créer, à construire.

DES EXEMPLES QUI CRISTALLISENT CE POSTULAT

Le projet Wuxia le renard (2012–2020) valorise la lecture à voix haute d’un livre imprimé. Grâce à un dispositif placé près du livre, dans un grand parc urbain, le spectateur-lecteur devient le narrateur d’une vidéo activée par le son et l’intonation de sa voix. La nostalgie l’emporte sur la nouveauté et la technologie devient un moyen de révéler l’importance de certaines traditions éclipsées par l’usage non réfléchi des technologies, comme la lecture à haute voix.

Le projet Iotheatre (2013–2015)

Un outil de cartographie du parcours client connecté à un tableau de bord d’analyse spatiale se nourrissant d’un système de localisation en temps réel connecté à un outil de scénographie pour cartographier et orchestrer une expérience interactive reprogrammable déployée dans le monde physique à l’aide de capteurs, d’équipements scéniques, de logiciels d’automatisation, d’agents intelligents, de système m2m et de médias en réseaux.

La machine à bienveillance (2017), une réalisation du collectif Ensemble-Ensemble.com coproduite par l’ONF et le Partenariat du Quartier des spectacles, vise d’abord à provoquer des rencontres inopinées et positives dans un lieu public. À la sortie d’une station de métro, en plein cœur culturel de Montréal, une forme pyramidale rose surprend les passants. Devenant en quelque sorte une œuvre d’art relationnelle et interactive, son fonctionnement repose sur un système de surveillance numérique. En détournant ainsi l’utilisation habituelle de l’intelligence artificielle, ce dispositif incite les usagers à réfléchir sur la façon dont notre société adopte et intègre l’innovation.

À LA BASE

Un principe fondamental sous-tend l’ensemble de ses projets : la technologie doit être au service des humains.

Principes de design qui guident ses actions

  • Le futur de l’informatique est calme.
  • Il faut plus de contemplation, donc s’arrêter pour poser un regard nouveau sur ce qui nous entoure.
  • Il faut exploiter l’intelligence contextuelle, donc concevoir des systèmes technologiques qui interagissent avec le monde réel.
  • L’usage donne le sens, il faut donc prioriser l’usage instinctif des dispositifs.
  • La nostalgie l’emporte sur la nouveauté.
  • L’innovation doit être propulsée par le récit et la poésie organisationnelle.

Comment appliquer ces principes à la mise en exposition au musée?

  • La prochaine révolution informatique sera spatiale et fonctionnelle, c’est-à-dire sensible et narrative. Elle intégrera l’espace physique intégral comme donnée computationnelle.
  • La révolution de l’informatique spatiale fournira aux créateurs de contenus de nouveaux outils pour faciliter la spatialisation des narrations et créer des interactions liées aux objets quand ils sont approchés ou manipulés.
  • Les outils permettant d’intégrer les données liées au mouvement du corps, l’expression des émotions et de la voix favoriseront aussi de nouvelles interactions avec les utilisateurs, augmentant par le fait même les formes de médiation, ainsi qu’une immersion plus personnalisée. Ceci amènera finalement les interactions collectives au premier plan.
  • La réinvention des outils de régie des espaces à l’aide de la domotique intelligente dépassera la gestion des éclairages pour intégrer des notions « d’ambiançage » intelligent adapté à la scénographie et au contenu d’une exposition.
  • Plus poussées que la régie des espaces, les technologies de projection et de sonorisation deviendront sensibles et narratives en ce sens qu’elles seront connectées au système de gestion des contenus et ses points d’accès. Imaginez votre gestionnaire de contenu de site Web (Wordpress ou autre) et transposez-y tous les aspects d’un lieu physique (objets, murs, bornes, éclairage, sons, contenus-écrans, etc.). L’environnement programmable est équipé de senseurs qui nourriront le design des espaces futurs. Le design informé s’implante lentement pour se rapprocher du design assisté. L’environnement lui-même générera du feedback sur l’utilisation qui en est faite. Ainsi, les musées auront la possibilité d’encourager le développement d’interactions naturelles et calmes en organisant non seulement leurs contenus, mais aussi les technologies liées à l’informatique spatiale.

Selon moi, les musées ayant des collections liées au patrimoine immatériel ont une longueur d’avance en matière de design d’interaction et de scénographie intégrée dans un environnement réactif.

AVEZ-VOUS UNE RECETTE ET SES PRINCIPAUX INGRÉDIENTS À PARTAGER?

  • L’informatique spatiale implique un spectre d’interactions avec les médias, les humains et l’environnement beaucoup plus large que celui des médias précédents. Il faut donc pratiquer l’art de l’idéation prospective. Comment? Avec des jeux de cartes de prospective (comme le jeu Imagine de nearfuturestories.com).
  • L’organisation d’ateliers de prototypage avec ces nouvelles possibilités est la meilleure manière de transférer les connaissances ainsi acquises. Il faut sentir et faire l’expérience des formes de médiation qui utilisent les systèmes de réalités mixtes, de reconnaissance vocale continue et de vision numérique. Ainsi, il devient possible de saisir la direction que l’Internet des objets industriels (Industrial Internet of Things — IIoT)12 tente de donner au monde des humains.
  • Les musées jouent un rôle important quant à la sélection des œuvres les plus significatives pour encourager la réflexion chez les futurs humanistes. Idéalement, il faudrait favoriser les projets impliquant des professionnels de musée dans le milieu de l’informatique tangible, de la projection cartographique combinant contenus et vision numériques, de l’utilisation des senseurs spatiaux et du déploiement de récits de réalités mixtes. Plusieurs innovations sociales seront à la base des futurs usages. Les innovations technologiques et les plateformes qui permettent de les orchestrer sont déjà en place depuis 5 ans. Il s’agit maintenant d’ouvrir de nouveaux dialogues sur tout ce que l’on peut en faire.
  • Il serait souhaitable d’établir un vocabulaire commun autour des dimensions de l’informatique spatiale et des interactions naturelles qu’elle rend possible, notamment :
  • La reconnaissance d’objets et d’images
  • La reconnaissance des visages
  • Les données biométriques
  • Le monitorage de la direction et de la persistance du regard
  • La reconnaissance de la voix (transcription en texte, interactions conversationnelles, moteur ontologique)
  • La transformation de la parole en temps réel pour créer des actions dans un système informatique
  • La reconnaissance de l’écriture et sa cursivité
  • La reconnaissance des sentiments
  • La reconnaissance des gestes
  • La reconnaissance des activités d’un groupe ou d’un individu
  • La reconnaissance de l’affect
  • La reconnaissance des traits de personnalité
  • Sans oublier les pratiques exploratoires qu’il faut mettre en place, c’est-à-dire :
  • Le travail sur les paysages sonores et la spatialisation sonore (soundscape) qui aura un impact majeur sur les expositions liées à l’histoire, à l’architecture et au design, aux installations d’art médiatique
  • L’utilisation des messages textes, des agents conversationnels, les afficheurs signalétiques DEL ou Epaper pour la création de parcours et de systèmes de signalisation/guidage personnalisés
  • Les œuvres où la synthèse vocale permet une médiation directe entre l’œuvre et le spectateur, notamment dans les expositions avec des films, des photographies ou toutes formes d’installation où la narration performée ajoute une dimension sociale à l’œuvre
  • Les installations utilisant des dispositifs haptiques13 (pour le moment, ce genre d’installation est surtout utilisé dans le domaine des médias et l’art performatif, mais avec l’arrivée de lunettes de réalités mixtes, de nouvelles formes d’interactions avec les œuvres immatérielles disparaîtront)
  • L’exploration de la robotique en matière de scénographie et de commissariat pour explorer les nouvelles formes de médiation, interagir avec la foule, répondre à des questions
  • Les drones pour reprogrammer rapidement un système de projection ou d’illumination dans une pièce (principalement utilisée dans les installations médias ou d’art performatif)
  • L’utilisation des API’s (Application Programming Interfaces)
  • Les réflexions ou activités qu’il faut mettre en place :
  • Une expertise transdisciplinaire
  • Éduquer les machines autonomes au gros bon sens
  • Les moteurs d’inférence (permettant à un système de prendre des décisions par lui-même basées sur des faits observés)
  • Les nouveaux modèles ontologiques
  • Les algorithmes prédictifs
  • Qu’est-ce que l’apprentissage par la machine peut apprendre à l’humain sur lui-même? Aller au-delà de la simple finalité de l’automatisation
  • L’analyse spatiale et les impacts sur le travail des scénographes et commissaires
  • La prédiction des futurs usages et la planification de leur adoption par le musée
  • Quelques références intéressantes
  • Phantasmal Media de Dr. Fox du MIT
  • The Fourth Transformation de Robert Scooble
  • Le manifeste sur le Calm Computing de Mark Weiser et l’historique de la montée de l’informatique ubiquitaire telle qu’on commence à la connaître : http://www.regarde.org/wothings/conception/ubicomp/verrous
  • Le manifeste sur les environnements programmables de Herman Miller
  • Les livres portant sur les Agentive & Assistive Tech dont
    https://blogs.adobe.com/creativecloud/the-dawn-of-agentive-technology-the-ux-of-soft-ai-chris-noessel
  • Making Publics, Making Space
    https://www.adelaide.edu.au/press/titles/publics

QU’EST-CE QU’UN DESIGN D’ENVIRONNEMENT, COMPORTEMENTAL ET ORGANISATIONNEL?

  • Le design d’environnement se concentre sur « l’être ensemble », les outils de présentiel, les interactions avec l’environnement (objets, murs modulaires, chaises, tables, tableaux, écrans numériques) ainsi que les technologies de réalités augmentées et mixtes.
  • Le design de comportement se concentre sur les inférences dans les interactions humaines et les typologies des imaginaires (les phénomènes liés aux langages et aux formes de conversations et de dialogues), le sentiment social et les biais inconscients qui empêchent les nouvelles idées de faire leur chemin et qui automatisent la vigilance autour de tout ce qui ressemble à une transformation.
  • Le design organisationnel se concentre sur l’identification des modèles culturels observables, sur la réorganisation et la réinvention des processus de travail, sur la notion de design de méthodes et sur l’intelligence collective qui en ressort.

COMMENT UTILISER DES ENVIRONNEMENTS PROGRAMMABLES POUR TRANSMETTRE DES MESSAGES EN MILIEU MUSÉAL?

  • Pensons domotique et immotique14 intelligentes pour orchestrer les interactions et les contenus programmables dans un environnement. L’environnement est déjà un élément important de la scénographie muséale, mais alors que les contenus et les interactions sont aussi spatialisables, il faut imaginer que plusieurs lieux et narrations peuvent cohabiter.
  • Imaginons une signalétique dynamique pour orchestrer la scénographie.
  • Pensons narration personnalisée à faibles coûts pour chaque visiteur.
  • Pensons analyse spatiale des comportements de la foule dans une exposition (consommation de l’œuvre, appréciation, réception).

LE MOT DE LA FIN SOUS FORME DE PENSÉE POÉTIQUE

Mon mot de la fin ne portera pas sur la technologie et sa portée poétique n’existera que si la personne qui lit ce texte pose une action. Le mot de la fin porte sur les processus d’innovation dans l’institution et sur la poésie organisationnelle qui permet de relier les idées entre elles afin qu’elles s’améliorent au travers de dialogues et d’interactions humaines. Ces processus sont directement influencés par l’environnement physique dans lequel ils opèrent.

Les formes de pensée libre, de synthèse et d’engagement social nécessaires pour inventer et réinventer avec succès de nouvelles solutions aux problèmes sont très différentes de celles du travail procédural, linéaire et algorithmique qui redimensionne, répète et maximise les solutions que nous connaissons déjà.

Bien que le travail ait changé, devenant plus fluide, créatif et collaboratif, de nombreux bureaux ne l’ont pas encore fait. La plupart sont toujours orientés vers le travail linéaire, ne fournissant que deux types principaux d’espaces : des postes de travail et des salles de conférence.

Pour imaginer le futur des musées, le futur de la scénographie assistée et des environnements programmables, il importe de créer des environnements de travail optimisés pour soutenir ces activités de réflexion si particulières.

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Jonathan Belisle
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